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le cri du peuple

Et si on pensait l’économie autrement : changer de paradigme

19 Avril 2023 , Rédigé par le cri du peuple

 Selon les nombreux rapports, depuis le rapport Meadows de 1972 jusqu’aux derniers rapports du GIEC, l’Humanité fonce à toute allure dans un mur et les dirigeants politiques comme économiques commencent seulement à prendre conscience de ce mur et des limites de la Terre sur laquelle l’humanité vit. Cette course folle vers un destin funeste est due pour une grande partie au modèle économique dominant qui s’est imposé à l’ensemble des pays et peuples du monde. Ce modèle est en grande partie bâti sur la recherche d’une croissance infinie dans un monde fini et n’intègre pas ou peu les limites et les contraintes physiques dans lesquelles s’exerce l’activité économique.

Et si on changeait de paradigme pour essayer de trouver un modèle économique qui intègre pleinement la finitude de la Terre et ses limites.

D’un point de vue étymologique l’économie c’est la gestion de la maison par le foyer qui l’habite. Au fil de l’histoire avec la mondialisation, la notion de maison s’est étendue à la planète Terre et l’humanité est devenue le foyer de cette maison globale dont elle utilise les ressources pour satisfaire ses besoins.

Le défi que doit relever aujourd’hui l’humanité est celui de ressources limitées se raréfiant confrontées à des besoins infinis sans cesse grandissant. Les ressources sont limitées physiquement à la terre et elles se raréfient à cause des prélèvements effectués par l’homme pour satisfaire ses besoins mais aussi à cause des dégradations des écosystèmes et destructions de ressources engendrées par l’activité humaine. Quant aux besoins, ils sont infinis tant que durera l’humanité et ils grandissent d’une part avec l’accroissement de la population et d’autre part avec l’apparition voire la création de nouveaux besoins.

Le paradigme du modèle dominant libéral place au centre du système économique l’allocation des ressources et richesses (supposées illimitées) sur un marché enchanté et irréel, où règne une loi de l’offre et de la demande. Cette allocation se fait selon un processus concurrentiel de recherche d’intérêt particulier par un homo œconomicus, rationnel (égoïste et calculateur en langage courant) en fonction de prix sans réel rapport avec les limites physiques des ressources et richesses.

« L'économie est la science qui étudie comment des ressources rares sont employées pour la satisfaction des besoins des hommes vivant en société.

Elle s'intéresse d'une part aux opérations essentielles que sont la production, la distribution et la consommation des biens, d'autre part aux institutions et aux activités ayant pour objet de faciliter ces opérations. » Edmond Malinvaud

Là où les tenants du libéralisme s’intéressent presque uniquement « aux opérations, aux institutions et aux activités » sans tenir compte ou peu des limites  dans lesquelles s’exerce l’activité économique ; il conviendrait de se concentrer sur ce qui constitue le fondement même de toute activité économique à savoir « l’emploi de ressources rares pour satisfaire les besoins d’hommes vivant en société ».  C’est parce qu’elle a des besoins que l’espèce humaine, à l’instar de tout espèce du vivant, puise dans son environnement de quoi pourvoir à ses besoins. Mais si tout besoin n’engendre pas forcément une activité économique (respirer de l’air par exemple), toute activité économique est générée par la satisfaction d’un besoin.

Tout modèle  économique bâti sur le paradigme d’un emploi optimum de ressources rares pour la satisfaction de besoins doit intégrer pleinement non seulement les limites réelles et physiques de ces ressources rares mais aussi celles des « nocivités » (Pollution, Gaz à Effet de Serre, Substances néfastes pour l’environnement et les écosystèmes, déchets) engendrées par l’activité humaine.

Il convient aussi d'abandonner pour étudier cette question cruciale l’approche positive (qui s’intéresse à ce qui est ou supposé être) mise en avant par la théorie libérale pour privilégier une approche normative (qui s’intéresse à ce qui devrait être).

Des mots de Malinvaud  on peut définir un acte fondamental sur lequel repose tout système économique.

L'acte économique fondamental est l’emploi de ressources rares en vue de satisfaire les besoins de femmes et d'hommes organisés en société.

A de rares exceptions près comme l’air ou l’eau, les ressources ne peuvent être employées par les femmes et les hommes sans transformations nécessaires pour la satisfaction des besoins. Essayez de consulter vos messages sur le tas de minerais divers utilisés pour produire un téléphone portable. Pour transformer les ressources rares l’humanité a recours au travail. Dans un premier temps le travail était uniquement le travail humain. Mais au cours de son histoire l’humanité n’a eu de cesse de trouver d’autres forces de travail depuis les animaux jusqu’à l’atome. Ainsi la notion de travail inclut aujourd’hui non seulement le travail humain mais aussi le travail au sens scientifique équivalent à l’utilisation d’énergie.

L’activité humaine nécessaire pour les transformations des ressources génère des « nocivités ». Ces « nocivités », (terme plus approprié que celui, exclusif, « d’externalités négatives » utilisé en économie standard) constituent tout ce qui vient dégrader l’environnement et les écosystèmes conduisant à détruire des  ressources voire à rendre la terre invivablel: gaz à effet de serre, substances néfastes et polluantes ou déchets.

Ainsi, l’acte économique fondamental se définit comme l’utilisation de ressources naturelles rares transformées par le travail humain, en recourant à de l’énergie et en générant des nocivités, en vue de la satisfaction des besoins de femmes et d’hommes organisés en société.

Partant de cette définition, on peut formuler l’acte économique fondamental ainsi :

Satisfaction de besoins (SB) = Ressources matérielles (RM) + Travail humain (L) + Energie (E) + Nocivités (N)

SB = RM + L + E + N

Pour pouvoir quantifier les différentes composantes de cette formule, il est nécessaire de chercher pour chacune d’entre elles l’unité de mesure la plus appropriée qui est aussi la plus immédiatement disponible.

Le Produit Intérieur Brut mesure non seulement le flux de production mais est aussi le reflet de la demande globale. On peut dire qu’il correspond aux besoins qui ont généré cette demande. Ainsi pour la satisfaction des besoins on peut utiliser l’unité de mesure du PIB, la monnaie. Il est évident que la monnaie n’est utilisée ici que parce qu’à l’heure actuelle aucune mesure en poids n’est immédiatement disponible.  Et à terme la valeur monétaire devra être l’image exacte des dimensions physiques des ressources naturelles, de l’énergie et des nocivités utilisées ou émises pour la production des moyens de satisfaire les besoins

Pour les ressources matérielles on peut raisonner en poids en prenant comme unité de mesure le kilogramme ou la tonne utilisée par exemple dans le Bilan des flux matières d’Eurostat. (Voir schéma).

Le travail humain lui peut être évalué en heures de travail (h mn s).  Avec une restriction toutefois due au mode de comptabilité des heures de travail qui ne tient compte que du travail socialisé et qui exclut le travail domestique non rémunéré, bien que contribuant pour une part très importante à la transformation des ressources.

Comme unité de mesure de l’énergie, à la tonne (ou kilogramme) équivalent pétrole (Tep ou Kep) grandement usitée en économie pour mesurer les stocks et potentiels des énergies primaires et déjà intégrées dans les ressources matérielles,  on préférera le kilowattheure (kWh) voire le joule (J) utilisé pour mesurer l’énergie finale.

Pour les nocivités, l’évaluation peut être faite soit en poids avec la tonne ou le kilogramme soit en termes d’impact si on veut appuyer sur un phénomène plus global tel le réchauffement climatique en recourant à la tonne ou kilogramme équivalent CO2.

Bilan des flux de matières en France (année 2018, en Mt)

 

Le poids du PIB

Avec le paradigme de l’acte économique fondamental, une nouvelle approche de l’activité économique est possible. Cette approche permet de mieux appréhender la réalité physique de l’économie en se concentrant sur ce qui concrètement permet de satisfaire les besoins donc en abandonnant toute référence à la monnaie hormis dans la mesure des besoins.

Prenons par exemple les données de l’année 2018 pour la France.

D’après l’INSEE le PIB était de 2353.1 Mds d’€

Le Compte des flux de matières d’Eurostat (voir ci-dessus) laissait apparaître des apports directs de matières de 977.6 Mt ainsi qu’un total d’émissions de nocivités de 411.1 Mt.

Selon le Bilan énergétique de la France du Ministère de l’Écologie  la consommation finale d’énergie était de  1625.9 Mds de kWh

L’OCDE évalue à 40.97 Mds le nombre d’heures de travail socialisé pour cette année 2018.

 

Ainsi on peut dire qu’en France pour l’année 2018, pour produire les 2353.1 Milliards d’Euros de moyens de satisfaire les besoins, on a utilisé  (RM) 977.6 Milliards de kg de matières de la nature transformées en recourant à           (L) 40.97 Milliards d’heures de travail rémunérées et (E) 1625.9 milliards de kilowattheure d’énergie tout en émettant (N) 411.1 milliards de kg de matières nocives pour les écosystèmes.

En utilisant la formule SB ou PIB = RM + L + E + N on a donc :

2353.1G€ = 977.6 G kg + 40.97 G h + 1625.9 G kWh + 411.1 G kg

Posée comme cela avec ses unités de mesure différentes cette opération semble une incohérente addition de choux et de carottes. Mais elle permet d’ancrer l’économie dans la réalité concrète, de mieux appréhender les dimensions physiques de l’activité économique. En tout cas mieux que ne saurait le faire le seul recours à la monnaie.

Elle permet aussi d’aborder le PIB sous une approche différente lui donnant un aspect plus palpable, un peu plus d’épaisseur. Surtout, partant de cette formule on peut analyser comment physiquement a été « fabriqué » le PIB. Pour cela on va recourir aux différentes « intensités » qui découlent de la formule.

Les intensités du PIB

Une intensité permet de mesurer quelle quantité d’une composante d’un ensemble a été utilisée pour obtenir une unité de l’ensemble. Elle est le résultat du rapport entre la composante et l’ensemble La plus connue est l’intensité énergétique qui permet de savoir quelle quantité d’énergie a été consommée pour produire une unité monétaire de PIB. Elle est égale au rapport de l’énergie totale consommée sur le PIB.

De la composition du PIB telle qu’abordée dans la formule on peut tirer quatre intensités :

L’intensité matérielle correspondant au poids de matière utilisé pour obtenir 1€ de PIB. im = RM/PIB

L’intensité laborieuse correspondant au temps de travail (socialisé) nécessaire pour produire 1€ de PIB

il =L/PIB

L’intensité énergétique correspondant à la quantité d’énergie consommée pour produire 1€ de PIB

ie =E/PIB

L’intensité nocive correspondant au poids de substances nocives émises pour obtenir 1€ de PIB

in = N/PIB

 

 

 

Si l’on calcule les différentes intensités pour l’année 2018 en France on obtient :

Intensité matérielle (im) : 0.4154 kg/€

Intensité laborieuse (il) : 1mn 03s/€

Intensité énergétique (ie) : 0.6909 kWh/ €

Intensité nocive (in) : 0.1747 kg/ €

 

Au vu de ces données on peut ainsi dire qu’en 2018, chaque euro de production pour satisfaire les besoins, a nécessité : 415 g de matières, 1mn 03s de travail socialisé, 691 Wh d’énergie et l’émission de 175 g de nocivités.

 

L’utilisation de ces différentes intensités revêt plusieurs intérêts :

 

Elle permet pour chacun de mieux appréhender la réalité physique des moyens mis en œuvre pour satisfaire ses besoins. Elle permet aussi de faire des comparaisons entre différents niveaux de revenu. Afin de déterminer par exemple en ces temps de tension énergétique et climatique et d’appel à plus de « sobriété » sur quelle catégorie de population doivent porter les efforts.

 

Ainsi si on prend l’année 2018

selon l’INSEE le niveau de vie moyen par personne pour les 10% les plus pauvres était de 8580€ alors que celui des plus riches était de 61080€.

Si on corrige ce niveau de vie de la propension à consommer (la part qui n’est pas épargnée) soit 97.8% pour les plus pauvres et 71.6% pour les plus riches on obtient une consommation annuelle de 8394€ pour les 10% les plus faibles et de 43752€ pour les 10% les mieux lotis.

Si l’on multiplie cette consommation annuelle par l’intensité énergétique (qui correspond à l’énergie dépensée par €uro consommé) et l’intensité nocive (qui correspond à la pollution générée par €uro consommé) on peut dire qu’une personne faisant partie des 10% les plus pauvres consomme 5800kWh et émet 1466kg eq CO2  alors qu’une personne faisant partie des 10% les plus riches a consommé 30228 kWh et émis 7643kg eq CO2

 

 

Les intensités peuvent être aussi utilisées pour la planification de l’activité économique. Elles permettent de mesurer les différents impacts sur les matières, le travail, l’énergie et la pollution qu’aurait une estimation ou prévision d’un niveau de  PIB.

 

Elles rendent aussi possible les comparaisons entre différentes années pour un même pays ou entre plusieurs pays. 

Tenir et résister

 

 

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